Le modèle AS-AD commence peu à peu à s’imposer dans l’enseignement de la macroéconomie, pour la faculté de sciences économiques à Rennes, nous venons de l’enseigner pour la première fois cette année. Je profite de ce post pour montrer les enjeux de ce nouveau modèle qui permet en quelques courbes de montrer les effets de chocs sur une économie. Tout d’abord, il faut d’abord rappeler que ce modèle résulte d’une nouvelle synthèse entre la nouvelle macroéconomie classique des années 70 et les principes keynésiens les plus importants comme la rigidité des prix. C’est pour cette raison que ce modèle présente les principaux apports de la nouvelle macroéconomie keynésienne développée depuis les années 80 et qui est en constante évolution. Le principal apport de ce modèle, par rapport aux modèles keynésiens standards types IS-LM ou ceux d’offre classiques, est qu’il arrive à intégrer la dimension des prix. On arrive par ce modèle à avoir des effets prix qui comblent la carence du modèle IS-LM standard tout en conservant des aspects de demande.
L’offre agrégée
Pour commencer, l’offre agrégée (notée AS pour Aggregate Supply) se définit par une courbe de Phillips (elle se note parfois aussi PC pour Phillips Curve). Cette équation décrit les trois facteurs d’inflation, p, dans l’économie :
Où p désigne l’inflation, l’inflation espérée, le niveau de la production dans l’économie, le niveau de production de long terme dans l’économie, est un choc d’offre et est la sensibilité de l’inflation à l’écart de production.
D’une façon plus littéraire, cette équation nous dit que l’inflation dépend de trois facteurs,
- des anticipations futures d’inflation par les firmes dans l’économie,
- de l’écart de production , c’est-à-dire la différence entre la production réelle actuelle et la production potentielle de long terme .
- de chocs d’offre exogènes , c’est-à-dire tous les autres facteurs touchant l’appareil productif qui vont favoriser une variation des prix. On peut par exemple considérer qu’un choc sur le prix des matières premières est un choc d’offre, ou bien une hausse des salaires, ou encore une hausse de la fiscalité des entreprises…
L’aspect courbe de Phillips de AS, c’est-à-dire un lien explicite entre inflation et chômage, peut être établi en complétant la courbe AS de la loi d’Okun.
La demande agrégée
La demande agrégée (Aggregate Demand) repose sur deux équations. La première est standard car elle vient du modèle keynésien élémentaire, c’est la courbe IS qui nous dit simplement que la production dépend négativement du taux d’intérêt. L’intuition derrière est simple, plus le taux d’intérêt est élevé, plus le coût de l’emprunt finançant l’investissement le sera aussi. Une hausse du taux d’intérêt va donc évincer une partie des projets d’investissement, ce qui fera chuter le PIB réel. Ainsi, on peut écrire que varie négativement avec le taux d’intérêt dans une proportion :
Tandis que désigne un choc de demande exogène. Pour illustrer ce choc, on peut imaginer une hausse subite de la consommation/investissement publics, ou encore une hausse de la consommation des ménages, une hausse des exportations, etc. Bref tout ce qui fait grimper la demande dans l’économie. La deuxième équation permettant le bouclage du modèle est la règle Taylor notée MP (Monetary Policy).
Elle suppose que la banque centrale adapte son taux directeur en fonction de l’inflation dans une proportion : \begin{equation} \label{eq:sys3} MP : R = \pi^P + \phi^\pi ( \pi – \pi^P ) + \epsilon^R \end{equation} Dans cette équation, désigne l’inflation potentielle de long terme, on peut aussi y voir la cible d’inflation de la banque centrale. désigne les chocs de politique monétaire. Ces chocs sont plus difficiles à définir, ce sont toutes les variations du taux directeur qui ne sont pas expliquées par la règle, comme par exemple des mesures non convetionnelles, ou le besoin d’ancrer les anticipations d’inflation des ménages. En injectant MP dans IS, on obtient notre droite de demande agrégée AD:
De ce fait selon AD, plus l’inflation est grande dans l’économie et plus le PIB réel sera faible. L’équilibre macroéconomique entre offre et demande est donc tracé dans la deuxième figure. On peut alors analyser l’équilibre macroéconomique quand celui-ci est soumis à différents chocs macroéconomiques.
Les effets d’un choc d’offre négatif
Tout d’abord, on suppose désormais que l’économie est soumise à un choc macroéconomique d’offre négatif, il se manifeste par une réalisation positive de . Ce choc d’offre est dit négatif, au sens ou il contracte l’activité des entreprises. Il va donc faire varier AS vers le haut/gauche.
Imaginons par exemple que subitement le prix du pétrole s’envole, cela implique un coût de production plus important pour les firmes qui vont alors augmenter leurs prix de vente. On peut ainsi regarder l’effet à court terme sur l’économie d’un tel choc: le déplacement d’AS vers la gauche/haut stimule l’inflation et en conséquence fait diminuer le PIB réel. Le fait de pouvoir avoir une analyse de l’inflation est totalement novateur et explique le succès de cette nouvelle approche de la nouvelle macroéconomie keynésienne. La chute de l’IS-LM dans les années 70 est justement liée à son incapacité à pouvoir expliquer les phénomènes d’inflation. Par le modèle AS-AD, on peut avoir une analyse quantifiée des effets d’une hausse du coût du pétrole. On voit qu’un choc d’offre positif important va aviver l’inflation et diminuer le PIB réel, ce qui va accroître le chômage. On a ainsi co-existence du chômage et de l’inflation.
Les effets d’un choc de demande positif
Dans un deuxième choc, on peut observer les effets à court terme d’un choc positif de demande . Imaginons par exemple que l’Etat décide unilatéralement d’augmenter les dépenses publiques, quels seront les effets sur l’économie ? Tout d’abord, on voit que va toucher positivement l’équation AD, ce qui va déplacer AD vers le haut. Ce déplacement de la demande va accroître le PIB comme le prévoyait l’IS-LM, mais va également aviver l’inflation dans l’économie. L’intuition derrière est simple, la demande pour les biens et services augmente, le marché des biens et services s’ajuste par les prix.
Les effets d’un choc de politique monétaire positif
Pour ce dernier choc , on voit qu’il va impacter négativement la demande agrégée (), par conséquent cela va se traduire par un déplacement vers le bas d’AD.
Il est difficile d’illustrer ce choc, car ce sont toutes les variations du taux directeur qui ne sont pas expliquées par la règle de ciblage d’inflation. Il y a de nombreuses raisons qui peuvent justifier qu’une banque centrale s’éloigne transitoirement de sa règle de Taylor, par exemple une politique monétaire qui prend transitoirement en compte les effets du taux de change, des variations des actifs financiers, qui anticipe une crise économique, ou qui essaie de corriger du stress financier. Assez récemment pendant la crise de 2008 aux USA, la Fed est par exemple sortie de sa règle de Taylor habituelle afin d’apaiser les spreads de taux sur le marché du crédit (Curdia & Woodford, 2012).
Imaginons dans notre modèle que la Fed observe une hausse des anticipations d’inflation aux USA, elle va devoir intervenir en augmentant son taux directeur pour éviter les tensions inflationnistes à moyen terme. Pour cela, elle décide d’augmenter son taux directeur, ce qui diminue la demande est donc fait déplacer AD vers le bas créant un choc négatif. L’équilibre macroéconomique s’en trouve changé, le PIB réel diminue tout comme l’inflation. Il est par conséquent coûteux en termes de point PIB de lutter contre l’inflation si l’on s’en tient au modèle AS-AD.